Les voltigeurs


Les événements d'Antisanti

Le voltigeur corse a laissé sa trace dans la mémoire collective, comme en témoigne le tableau romantique qu'en font Mérimée (1), Rosseeuv Saint-Hilaire (2), ou Ponson du Terrail (3).

Cependant, rien n'est moins romantique. En 1822, par exemple, 190 homicides ou tentatives de meurtres sont commis dans l'île. On dénombre 400 à 500 bandits dans le maquis (dont 360 contumax), pour une population de 170 000 à 180 000 habitants. Dans les affrontements avec les bandits et leur capture, de 1816 à 1822, 116 gendarmes meurent dans l'exercice de leurs fonctions.

Bandit CorseCertains de ces événements se sont déroulés à Antisanti ou dans sa région et mettent en cause le bandit Gallochio et ses acolytes. Ils ont été racontés par Dominique Altibelli (4).

Le premier fait cité se produit sur le chemin entre Antisanti et Cervione, au lieu dit Liscia. Un détachement à cheval de la brigade de gendarmerie d'Antisanti  est attaqué par les deux Antomarchi, Luigetto Albertini de Piedipartino et un autre contumax. Lors de l'échange de coups de feu deux gendarmes (Meus et Hubert) et Gallochio sont blessés.

Le 10 Septembre 1821, les gendarmes Nicolosi, Mathieu et Azena de la brigade de Piedicorte qui apportent la solde des gendarmes d'Antisanti sont accueillis par une fusillade partie de derrière un muret de pierres à moitié recouvert de maquis au lieu dit barrière de Casamatra. Les deux premiers gendarmes sont abattus, touchés par plusieurs balles.

Le 9 Septembre 1822, le gendarme Charbonnier, laissé seul de garde, quitte la caserne pour aller acheter des provisions de bouche dans le village. C'est alors que Gallochio et Peretto Sabini, bien renseignés, pillent la caserne et volent pour 2 821 francs, ainsi que la carabine du gendarme Charbonnier.

Le soir du 26 décembre 1822, alors plusieurs gendarmes sont invités chez les habitants, une dizaine de bandits investissent le village, l'un d'eux s'introduit chez le maire Joseph Antoine Angelini et assassine le maréchal des logis Torra, en poste à Piedicorte. Au bruit de la fusillade, le gendarme Fiorella, de garde à la caserne, veut porter secours à la maison du maire toute proche. Il est tué net. Sa femme (une Tristani d'Antisanti) accourt, leur enfant dans les bras. Une deuxième balle tue le bébé. La fusillade devient générale, le brigadier Maestracci, les gendarmes Delaissement et Chanson, une dizaine d'Antisantais dont le garde champêtre Joseph Jean Franchi font feu sur les bandits qui disparaissent dans l'obscurité.

Arrivés après l'attaque de la gendarmerie de Casaglione par Théodore Poli, Gallochio et leurs hommes, ces faits ont un retentissement considérable, non seulement en Cors, mais aussi à Paris.

Le bataillon des voltigeurs

C'est à la suite de ces deux événements, qui dévoilaient un peu plus l'incapacité de la gendarmerie et des autorités à faire respecter la loi dans l'île, que le gouvernement royal allait activer la création du Corps des Voltigeurs, sorte de gendarmes auxiliaires de la 17ème Légion de Gendarmerie Royale de la Corse, formé d'hommes recrutés sur place pour leur connaissance du terrain et des hommes, pour leur endurance ou pour d'autres motivations plus personnelles, auxiliaire .

L'ordonnance du 6 Novembre 1822 prescrivit la formation d'un bataillon de voltigeurs corses composé de 4 compagnies basées à Bastia, Corte, Ajaccio et Sartène, avec un capitaine, un lieutenant et un sous-lieutenant et à l'état-major, installé à Bastia, un commandant, un adjudant major, un sous-lieutenant trésorier et un chirurgien aide major.

Chaque compagnie surveille, sur un secteur un peu plus grand qu'un arrondissement, huit à dix villages, avec des détachements de sept ou huit voltigeurs sous les ordres d'un caporal ou d'un sergent. Le bataillon se recrute parmi les anciens militaires retirés au pays ou dans les régiments d'infanterie. Il y eut beaucoup de demandes.

Il semble qu'une confusion existe quant à l'uniforme des voltigeurs corses qui selon les uns comporte une tunique bleue à trois brandebourgs, un pantalon bleu, un képi bleu à pompon vert et des épaulettes vertes et selon d'autres un habit brun avec un collet jaune (5, 6). Cette confusion provient de l'erreur faite entre les voltigeurs des bataillons corses (militaires) et ces auxiliaires de la gendarmerie et du fait que le règlement du 22 septembre 1826, concernant ces derniers, a modifié la couleur du drap du fond de l’habit, qui est passé du drap brun marron au drap bleu de roi. Prosper Mérimée, qui avait voyagé en Corse, signale une tenue brune (1) :

    Quelques minutes après, six hommes en uniforme brun à collet jaune, et commandées par un adjudant, étaient devant la porte de Mateo.

Grâce à leur connaissance de la langue, du pays et de ses usages, les voltigeurs sont plus aptes que les continentaux pour venir à bout des bandits.

Poursuites, embuscades et combats souvent violents rythment leurs sorties. De 1830 à 1850, un nombre inconnu de voltigeurs ont été blessés ; quatorze d'entre eux sont morts en service ou des suites de leurs blessures.

De nombreuses croix de la Légion d'honneur sont distribuées aux voltigeurs en récompense de ces arrestations. On cite le cas du sergent Valentini qui, à lui tout seul, réalisa quinze arrestations au cours de l'année 1823 et qui fût cité à l'ordre de la division.

L'utilité du bataillon est aussi reconnue par les notables locaux : les maires ne cessent de réclamer des détachements, et le Conseil général demande des compagnies supplémentaires afin de couvrir totalement l'île.

Réorganisé, le 17 juin 1845, le corps reçut un effectif de 712 hommes, tous volontaires, anciens soldats ayant 2 années de service ou civils ayant accompli un congé.

Cependant, il y eut des abus. Des voltigeurs furent sanctionnés, révoqués et même condamnés.

Ainsi, en 1834, le chef de bataillon déplore l'attitude d'un de ses subordonnés qui lui demande :

    la permission d'aller à Cervione, promettant avec assurance, qu'au moyen des relations et des connaissances locales qu'il avait dans ces contrées, il aurait réussi infailliblement à faire tomber entre les mains de la justice quelques malfaiteurs, mais, loin de tenir ses promesses, (...) il a mangé et bu avec eux !  

S'agit-il d'un repas pris avec Gallochio ?

On cite encore la lettre de dénonciation adressée au ministre de l'intérieur le 10 décembre 1842 :

    Les concurrents notoires pour être juge de paix de Bonifacio, sont Denys Tertian, mauvais sujet, voltigeur corse chassé, conservateur de santé destitué comme contrebandier ;...

Le corps fut dissous par le décret du 23 avril 1850. Ce décret créait en remplacement un bataillon de gendarmerie mobile, dans lequel furent versés les hommes non libérables des voltigeurs corses. Ce bataillon de gendarmerie mobile a lui-même été supprimé par un décret du 24 octobre 1850. Un autre décret du même jour réorganisait la 17e légion de gendarmerie de la Corse.

Cependant, les voltigeurs avaient en partie redressé la situation, et les bandits les plus redoutés avaient disparu ou étaient en voie de disparition. Ce qu'on avait appelé la guerre des contumax était terminée.

Les voltigeurs à Antisanti

À Antisanti, dès le premier trimestre de 1824, les voltigeurs, plus mobiles et plus aguerris, remplacent les gendarmes aux uniformes trop voyants. 

Se sentant de plus en plus menacés par Gallochio, les Filippi décident d'envoyer l'un d'eux, Pierre Félix, s'engager comme voltigeur (7). En effet, être voltigeur offrait beaucoup de facilités et permettait de se débarrasser en toute légalité de ses ennemis ; beaucoup s'engagèrent pour assouvir une vengeance personnelle ou familiale (8) :

    Le sergent des voltigeurs est un filleul de l'avocat ; au lieu de vous arrêter, il vous tuera, et puis il dira qu'il ne l'a pas fait exprès.

La vie pour Gallochio et les siens devient chaque jour de plus en plus difficile. Ainsi, le 26 Juin 1824, Gallochio embarque pour la Sardaigne, puis la Grèce. Il en reviendra quelques années plus tard et sera blessé par les voltigeurs, à Cervione (9), avant de mourir à Altiani, le 17 novembre 1835.

Grâce à Altibelli, nous connaissons le nom d'un certain nombre de voltigeurs en poste à Antisanti, liés de près ou de loin à l'histoire du village :

  • le lieutenant Pieri, commandant des voltigeurs d'Antisanti dans les années 1830, qui participa à la souscription organisée pour la publication de l'Histoire de la Corse d'Ottavio Renucci.
  • François Angeli et Jean Santini, voltigeurs de la 4e compagnie stationnée à Antisanti, témoins du meurtre du gendarme Pierre Juphy par son collègue Joseph Gilles pour une question de dettes, qui arrêtèrent le meurtrier le 10 Mars 1833 à Campo alla Vecchio près de Niviscio. Pierre Juphy sera enterré dans le cimetière de la place de l'église.
  • le caporal des voltigeurs Antoine Marie Giabicani de Vezzani, témoin à un mariage en 1844. Le même à la tête du détachement résidant à Antisanti et son épouse Marie Théodorée Perelli, parents de Don César né à Antisanti le 21 janvier 1845.
  • le voltigeur Jean Thomas Ceccaldi, de la 4e compagnie détachée à Antisanti, âgé de 44 ans, originaire d'Evisa, qui mourra le 8 octobre 1846 et sera enterré dans le cimetière de la place de l'église. Son décès est déclaré par le voltigeur Peri.
  • le voltigeur Antoine Maraghelli en résidence à Cervione, natif d'Ucciani, âgé de 36 ans, qui épouse, le 21 mai 1848 à Antisanti, Marie Dominique Franchini, âgée de 22 ans, fille de Charles Jean et d'Angélique Étoile Pancrazi. Mis à la retraite le 24 septembre 1860, il décède au village le 17 juin 1863. Sa veuve, alors âgée de 37 ans, touchera une pension de réversion de 116 f.
  • l'ancien voltigeur, Barthélemy Lambicchi, originaire de Petretto-Bicchisano qui a épousé l'Antisantaise Marie Diane Marrachelli, fille d'Antoine, et tenait un café au village en 1870. Il décédera le 19 décembre 1893 à l'âge de 79 ans.

On sait encore qu'en 1833, la 4e compagnie, sous le commandement du sous-lieutenant Peri, est en garnison à Antisanti, et qu'en 1839, c'est la 2e compagnie commandée par le lieutenant Santolini qui réside à Antisanti (10).

Pour terminer citons le mariage, le 15 novembre 1857 à Antisanti, de Charles Baptiste Bartoli, ancien voltigeur Corse en retraite, âgé de cinquante deux ans, natif de Ciamannacce et domicilié à Antisanti, avec Marie Joséphine Nicolaï âgée de trente quatre ans, fille de Géromine.

Après la dissolution du corps des voltigeurs, il n'y eût plus de police en garnison à Antisanti sinon des gendarmes de la brigade de Vezzani détachés à Antisanti. Il faudra attendre la fusillade qui se déroula lors de l'élection du 13 Janvier 1878 pour voir l'installation d'une brigade de gendarmerie au village. Celle ci devait y rester jusqu'en 1950.

  1. Prosper MÉRIMÉE, "Mateo Falcone" , paru dans Armand Weil, "Contes et récits du XIXe siècle", Larousse Ed., Paris, 1913
  2. Rosseeuw SAINT-HILAIRE, "Le déjeuner du bandit" dans "Corse noire", collection Librio, Flammarion, 2001.
  3. Pierre-Alexis PONSON DU TERRAIL, "Les Bandits", La Marge Ed., 1992.
  4. Dominique ALTIBELLI, "Antisanti, Mémoires d'un village", Cahier 5.
  5. L'intermédiaire des chercheurs et des curieux, 1924, Volume 87, N°1593, p 236, 349 et 350
  6. Site Internet : Les troupes Corses
  7. Un VECCHIERINI d'Antisanti s'engage lui aussi à cette époque.
  8. Prosper MÉRIMÉE, "Colomba", Charpentier Ed., Paris, 1862.
  9. Gaston d'ANGELIS, Don GIORGI et Georges GRELOU, "Guide de la Corse mystérieuse", Tchou Ed., Paris, 1995.
  10. Almanach Royal et National, Guyot et Scribe Ed., Paris, 1839.