La Tour de Diana


Comme pour la construction du pont d'Altiani, les habitants d'Antisanti ont participé financièrement et probablement pour certains manuellement à l'édification de la tour de Diana (1).

Afin de lutter contre les incursions barbaresques et les exactions commises contre les populations du littoral, et en règle générale à la demande de ces populations, l'Office de Saint Georges décide de construire un véritable réseau de tours pour surveiller les 1 000 km de côtes de la Corse.

Le programme de construction ne connaît son plein essor qu'entre 1530 et 1620 et au commencement du XVIIIème siècle on compte 85 tours ceinturant la Corse (2).

Des architectes génois dessinent les plans, un officier assure la surveillance des travaux et des gardes sont chargés de la sécurité du chantier où, dans la plupart des cas, travaillent les habitants des villages voisins.

Ces tours sont des édifices en pierre de 12 à 17 m de haut sur 8 à 10 m de diamètre. Le plus souvent circulaires, elles comportent trois étages bien que Prosper Merimée n'en ait signalé que deux dans les tours qu'il a pu observer au XIXème siècle (3) :

    La plupart date des XVe et XVIe et même du XVIIe siècles. Sauf quelques détails insignifiants, toutes me semblent bâties sur le même modèle, ce qui indiquerait que leur érection aurait eu lieu par suite d'une mesure générale. Elles se composent d'une salle basse, ordinairement voûtée, servant de magasin ; d'un étage au-dessus, destiné à loger la garnison ; enfin, d'une plate-forme entourée de créneaux et quelquefois de mâchicoulis. Le magasin ou salle basse ne communique pas avec l'extérieur. On entre dans la tour par le premier étage, en montant un escalier oblique, souvent une échelle, et une fois quelle était retirée en dedans, une demi-douzaine d'hommes pouvait tenir tout un jour dans cette petite forteresse contre des centaines d'assaillants.

Généralement deux tours sont construites en même temps - la tour de Diana et la tour de l'étang d'Urbino dans le cas qui nous intéresse - les corps de métiers passant successivement de l'une à l'autre.

Dès 1568, la construction de la tour de Diana est envisagée et son coût estimé à 1 600 lires. Bâtie à l´embouchure de l´étang de Diana, sur un promontoire rocheux d'une dizaine de mètres au dessus du niveau de la mer, elle dominera à la fois l'étang, la plage et le large. De plus, de par sa position, elle aura en vue la tour de Bravone au nord, et la tour de Vignale au sud. 

Selon l'accord signé à Corte devant notaire et devant les Nobles 12 par Giorgio Doria et les procureurs des pièves concernées, Opino, Serra et Rogna, la Sérénissime République avance les fonds pour la construction ; les frais sont ensuite répartis entre les différentes pièves, puis enfin entre chaque Communauté concernée, c'est à dire recevant un avantage de la présence de la tour.

C'est ainsi que les Antisantais paient une taxe annuelle de quarante sous par feu pour la construction de la tour de Diana comme chaque famille des pièves d'Opino (Tallone), Serra (Zuani) et Rogna auxquelles incombe la construction de la tour. Le partage du coût de la construction est la cause de très nombreux conflits financiers et querelles de communautés et certaines refusent de participer à l'opération.

Le 12 avril 1579, le capitaine Mariano de Murato, obtient l'adjudication de la tour. Mariano est un officier corse courageux, il s'est battu aux côtés des Génois au cours des guerres du XVIe siècle mais il ne s'embarrasse pas de scrupules. Il touche d'importantes avances sans engager le moindre chantier. Une fois l'argent de la tour encaissé, il se hâte de le dépenser à Bastia en plaisirs divers. Malgré son mécontentement, le gouvernement génois continue à lui accorder sa confiance. 

Les travaux durent sept ans, ce qui est relativement long pour ce type de construction. Six maîtres maçons participent au chantier qui est surveillé par une compagnie de chevaux-légers du fort d’Aléria. Cependant on sait que l’ouvrage n’était pas de très bonne facture notamment quant à la qualité des pierres employées. Le 20 juin 1582, le trésorier de la Camera, Gregorio Carmandino, inspecte la tour qui est en cours de construction. Celle-ci est construite jusqu'à la voûte. En 1586, la tour de Diana est enfin terminée.

Deux soldats, les torregiani, recrutés parmi les habitants et payés sur les taxes locales, occupent la tour. Depuis la terrasse au sommet de la tour, ils montent la garde, scrutant l'horizon afin de prévenir de l'approche d'un navire hostile. Ils doivent alors donner l'alerte sous forme de fumée, de feu ou d'un son de culombu. Leur rôle est aussi de renseigner navigateurs, bergers et laboureurs sur la sécurité, et de communiquer par feux avec les tours les plus proches. On connaît seulement les noms de deux torregiani : Battista Camelino (4) et vers le mois de mai 1612, Battista Solaro et son frère (5).

La charge de responsable de la tour, le capo di torre, est très demandée bien qu'elle ne soit pas source de gros revenus. Mais c'est un honneur, une source de pouvoir, et un moyen de placer sa famille et ses proches. Dès le mois de mai 1581 et donc bien avant la fin de la construction de la tour, Agostino Sambusetto, de Bastia, benemerito lors des guerres, intervient pour obtenir la garde de la tour de Diana au profit de son fils Giovan Martino (6).

Mais, les habitants d'Antisanti, avec ceux de Ghiuncagghiu et de Pancheraccia d'abord, puis avec eux toute la piève de Rogna, refusent de participer au financement de la garde de la tour de Diana. Il incombe selon eux aux habitants de Zuani, Pianello et Bozio qui utilisent cette plaine et sont donc plus particulièrement intéressés par sa sécurité. Malgré les pressions faites par l'administration génoise et les procès qu'elle leur intente, les Communautés de la piéve de Rogna tiennent bon et à la fin du XVIIème siècle elles obtiennent gain de cause.

La tour est signalée pour une première fois sur la carte de Giovanni Antonio Magini, Corsica insula olim Cyrnus, publiée en 1620, mais il semble qu'il faut attendre la Carte nouvelle de l'isle de Corse dressée par Robert de Vaugondy en 1756 pour la voir à nouveau notée sur une carte (7). Cependant bien avant cette date, la tour est déjà déserté par ses gardiens et en ruines comme le mentionnait un rapport d'inspection de 1666 (8).

Après avoir perdu toute raison d'être, la tour subit les outrages du temps jusqu'à être réduite à quelques vagues fondations. 

Il faut attendre la fin du XXe siècle pour que débute la restauration de la tour. La longue reconstruction a été entamée en 1996. Elle a été, en partie, financée par les ouvrages I Torregiani, les fortifications d'Aleria, Des roseaux et des hommes, chronique d'une capitale disparue et Jean Joseph-Marie de Guernes, l'évêque d'Aléria dans la tourmente révolutionnaire écrits par Pierre Girardeau, président fondateur de l'association Alalia.

Aujourd'hui, bien que la construction n'atteigne pas encore la dizaine de mètres de hauteur qu'elle connut jadis, elle représente déjà un monument de massivité.

  1. Dominique ALTIBELLI, "Antisanti, Mémoires d'un village", Cahier n°2.
  2. Le guide Vert, Corse, Michelin Ed., Paris, 2000.
  3. Prosper MERIMEE, "Notes d'un voyage en Corse", Fournier jeune Ed, Paris, 1840.
  4. Inventaire sommaire des Archives départementales antérieures à 1790, Corse : 1606-1632, Impr. F. Siciliano, 1922.
  5. Sébastien Gregorj, Libro Rosso, in Bulletin de la Société des sciences historiques et naturelles de la Corse, Ollagnier Imp., Bastia, 1890.
  6. Antoine-Marie Graziani, La Corse vue de Gênes, A. Piazzola Ed., 1998.
  7. Collection Jean-Baptiste Bourguignon d'Anville, Bibliothèque nationale de France/Gallica
  8. Site Torregiani