Marchiano


Anton Pietro Filippini (1529-1594), dans Istoria di Corsica, rapporte une favola ridicolosa ... tanto divulgata e notoria ... chè frescamente è successa in questi giorni (1). Ce récit met en scène un habitant d'Antisanti dénommé Marchiano, qui se vantait d'avoir trouvé un fabuleux trésor. Il trompait tous ses concitoyens y compris le Gouverneur Génois, mis au courant de la chose. Ridiculisé, ce dernier le fit condamner pour le restant de ses jours aux galéres.

Selon Filippini, le gouverneur se nommait Stefano Passano. Il était à la tête de la Corse vers l'an 1585. Ce qui permet indirectement de dater les malheurs de Marchiano.

Voici l'histoire de Marchiano d'Antisanti, telle que l'on peut la traduire et la résumer à partir des écrits de Filippini :

Un habitant d'Antisanti appelé Marchiano, avait répandu le bruit qu'il avait trouvé un très ancien trésor d'une grande valeur en travaillant à la campagne à Vadina, lieu éloigné d'Aléria d'environ cinq miles vers l'Est. Beaucoup avaient cru à ses dires, et lui fournissaient un crédit annuel qui lui permettait de nourrir sa famille. Car ils étaient nombreux, ceux qui avaient l'espoir d'avoir une partie du trésor, et auxquels il avait emprunté de l'argent, des céréales et bien d'autres choses pour ses besoins. En particulier son beau-frère, qui était bien établi, et qui, lui accordant foi, lui avait fait don de la moitié de tous ses biens devant notaire contre la promesse de la moitié du trésor caché.
Dans la même erreur, était tombé un habitant de Bastia, appelé Franceschetto et surnommé Barbazza, qui travaillait souvent à l'étang d'Urbino, et qui, mis au courant de ce trésor et avide de gain, avait pressé Marchiano de son amitié. À plusieurs reprises, il lui avait prêté cinquante écus. Marchiano le maintenait dans son espoir, lui servant toujours quelque bonne excuse. L'histoire devint tellement divulguée, qu'elle arriva à l'oreille du gouverneur, qui était alors Stefano Passano.
Celui ci convoque Marchino à Bastia.
Effrayé par la tournure que prend l'affaire, Marchiano, tel un rebelle, prend le maquis. Cette fuite ne fait qu'augmenter le désir du gouverneur. Et pour atteindre son but plus rapidement, il fait incarcérer des parents de Marchiano, de l'un comme de l'autre sexe. Marchiano se rend alors chez le gouverneur à Bastia. Il affirme qu'il a trouvé un grand trésor, et il le dit avec tellement de conviction que le désir du gouverneur augmente encore. Marchiano raconte qu'il s'agit d'un beau vase en laiton, sur lequel on peut voir des têtes et des mains en or, et d'autres choses merveilleuses, telles que lui n'en avait jamais vu auparavant.
Le gouverneur et Marchiano concluent un accord et se partagent le trésor. Les parents de Marchiano sont alors élargis et lui quitte Bastia le 21 août en compagnie du Conseiller et d'une compagnie de chevaux légers. Arrivé à Arena et craignant toujours pour sa vie, il leur échappe et se cache dans un bois. Dupé et ridiculisé, le Conseiller poursuit son chemin en direction d'Antisanti, où il fait prisonniers la femme, les enfants et les petits enfants de Marchiano. Il les ramène à Bastia et les jette en prison. Afin de libérer sa famille et ses petits-enfants, Marchiano se constitue prisonnier au fort d'Aléria, en confirmant ce qu'il avait dit du trésor et en ajoutant qu'il n'était pas question pour lui de fuir à nouveau. Le gouverneur ayant été averti, le 17 septembre, il envoie Gregorio Varese avec quelques cavaliers pour s'assurer de la vérité. Lorsque celui ci arrive, il trouve Marchiono portant  une houe et prêt pour partir à la recherche du trésor comme il l'avait promis.
Convainc u par le comportement de Marchiono que le trésor existe réellement, sans autre forme de procès, Grégorio retourne promptement à Bastia où il fait part de ses assurances. À ces mots, la femme de Marchiano et tous ceux qui avaient été emprisonnés sont libérés. Et la plupart d'entre eux étant vêtus pauvrement - "essendo coloro alla Corsesca mal vestiti, come sono i poveri" dit Filippini - Gregorio les envoie à sa maison afin des les vêtir convenablement.
Rassuré, le 24 septembre, le gouverneur envoie par la mer une gondole bien armée, sur laquelle se trouve son Conseiller, Gregorio Varese et beaucoup d'autres. Le  lendemain matin, en compagnie de Marchiano et de son beau-frère, ils se rendent à Vadina. Mais quelque soit l'endroit où ils cherchent et s'affairent, jamais ils ne trouvent le trésor.
Marchiano et son beau-frère sont pris, et le 27 septembre, conduits à Bastia, étroitement liés. Quelques jours après, le gouverneur fait mettre Marchiano à la torture. À peine soulevé de terre, celui ci assure que le trésor existe, qu'il est plus important que ce qu'il avait dit jusqu'à présent mais qu'il n'avait pas voulu le révéler par crainte de perdre la vie et qu'il était désormais résolu à tout dire.
Le 24 octobre, il est envoyé à Aléria en compagnie des chevaux légers. Là, en passant la porte du corps de gardes, il  prononce ces paroles: "O soldats, soyez en témoins, je ne sais pas à quelle fin on me mène, car je ne sais pas où se trouve aucun trésor." En entendant ces mots, le Conseiller retourne à Bastia et s'empresse de rapporter les paroles de Marchiano au gouverneur. Lequel lui répond de ramener celui-ci par la force et de le jeter à nouveau en prison.
Entre temps, l'histoire du trésor était arrivée jusqu'à Gênes où on tenait le trésor pour chose certaine. Au Sénat, les sénateurs évoquaient déjà son partage. On peut imaginer le sentiment de honte et de rage du gouverneur, ainsi ridiculisé par Marchiano. Aussi fit-il le nécessaire pour que lors de son procès, le 6 novembre, Marchiano soit condamné à ramer sa vie durant sur une galère. Et c'est les fers aux pieds qu'il s'embarqua le 11 novembre.

  1. Une histoire ridicule ... tellement divulguée et notoire ... qui est arrivée il y a peu. Anton Pietro Filippini, Istoria di Corsica, Pisa, 1831.