La guerre de Crimée (1845-1855)
Dans ce conflit s'opposent
l'Empire ottoman, allié à la France et à la Grande-Bretagne, d'une part, et la Russie
d'autre part. Héritière des plans de Pierre le Grand, la Russie de Nicolas 1er
menaçait Constantinople ; à la demande des Turcs, Français et Anglais
s'unissent
pour s'y opposer. Une flotte de 500 navires amène les alliés aux Balkans, puis sur les
plages de Crimée. Après la bataille de l'Alma qui oppose l'armée russe de Sébastopol
aux forces franco-anglaises, les Russes s'enferment dans Sébastopol et 80 000 hommes,
français et anglais, assiégent pendant un an la puissante place forte de toute récente
construction.
La Prise de Sébastopol
Avec le printemps 1855, l’activité devant Sébastopol
redouble des deux côtés. Le 9 avril, un bombardement allié formidable
rase le bastion central russe et celui du Mât, mais l’assaut n'est pas
donné. Le 7 juin, les français enlèvent deux positions clef de la
défense russe : le mamelon vert et les ouvrages blancs. Enhardis par ces
succès, malgré les lourdes pertes subies, les alliés tentent le 18 juin
un assaut général contre le grand redan et l’ouvrage Malakoff,
citadelle de terre de 350 mètres de long surnommée le petit Gibraltar.
Après trois mois de travaux et de coups de main, les
positions des troupes françaises les plus avancées se trouvent à
quelques 30 mètres de Malakoff. Et chaque jour se produisent des
escarmouches (1) :
À chaque instant il y a des tués et des blessés ; les
bons tireurs sont aux créneaux de chaque côté, et, dès que loccasion se
présente de tirer avec chance de réussite, on la saisit.
Chaque jour enregistrait des duels entre notre artillerie et celle
de la place, ainsi qu'entre les meilleurs tireurs des fantassins de garde de chaque
côté, et chaque jour aussi de nouvelles victimes s'ajoutaient à celles de la veille.
Au 96e régiment d'infanterie de ligne se bat
Jules Christophe Rinieri. C'est le fils de jules et d'Anne Marie
Fabiani (2). Il a le grade de sergent à la 3e compagnie du 2e
bataillon. Le 96e régiment d'infanterie de ligne, commandé
par le colonel Malherbe, fait partie
du corps de réserve de l'armée d'Orient fort de 19 400 hommes. Avec
le 15e de ligne, le 13e d'artillerie et la 14e
batterie, il appartient à la 2e brigade de la 2e division d'infanterie.
Le 8 septembre 1855, les troupes se préparent à
l'attaque. Le dispositif d'attaque est décrit par le Colonel Durban (1) :
Le centre, dont le 11e léger faisait partie, avait pour
objectif Malakoff et la courtine reliant cette forteresse au petit redan. L'aile droite
était chargée du petit redan et les Anglais du grand redan. Ces trois points étaient
mis en état de défense d'une façon remarquables, entourés de fossés très profonds,
les parapets crénelés et défendus par une artillerie formidable. La
courtine (objectif spécial de mon régiment) formait une courbe rentrante, un peu en
contrebas du terrain que nous occupions, et était protégée en avant par une série de
trous de loup (excavations.d'environ un mètre cinquante de profondeur, garnies d'un
piquet fixé au milieu, la pointe en l'air).
Selon le correspondant d'un journal, les soldats ont
reçu des rations pour trente-six heures de combats (3) :
Dans la matinée du jour où devait se livrer
l'assaut, nos soldats avaient reçu un demi-litre de vin, mais coupé
d'un demi-litre d'eau dans leur petit bidon, en les priant de le
ménager, qu'il y en aurait peut-être pour trente-six heures. Ils
emportaient également pour trois repas de viande cuite et de biscuit,
puis 80 cartouches
À midi précise, le général Mac-Mahon, levant son
épée, crie d’une voix vibrante En avant ! Vive l’Empereur ! Aussitôt, 50 000
hommes s'élancent sur tous les points prévus.
Pour sa part, le 96e de ligne se rue en
direction du petit Redan (3) :
Devant le petit Redan comme devant Malakoff, nos
soldats s'élancèrent avec impétuosité sur les ouvrages. Le feu qui
les reçut, dirigé de quatre points à la fois était effrayant ; la
mitraille labourait les rangs, sans cependant arrêter la marche des colonnes. Arrivés au pied de l'ouvrage, ils se trouvèrent en face d'un
talus à pic, qu'on ne put franchir sur le front que par de longues
échelles, tandis que d'autres profitaient d'une déclivité du
terrain pour s'élancer à gauche sur le chemin du Redan. De ce coté,
le bastion de la Courtine foudroyait les assaillants. Le général
Marolles était au premier rang de ses grenadiers, et tomba dans leurs
rangs ; on ne l'a retrouve que le soir sous un monceau de cadavres...
Tous les régiments ont lutté d'ardeur et d'héroïsme ; on a pénétré
enfin dans le petit Redan. Là a commencé un combat acharné de
mousqueterie ; les Russes, logés dans des sortes d'abris préparés,
dominés par une batterie qui tirait au dessus de leurs têtes, recevaient
à bout portant nos braves soldats. En même temps, une pluie
de bombes et d'obus tombait au milieu des rangs. Il fallut se retirer,
l'ennemi reprit l'offensive , et on quitta le petit Redan....
La tour Malakoff tombe aux mains des Français et des
Anglais. Mais cette journée coûte 13 000 hommes aux
Russes et 10 000 aux alliés. Parmi eux, Jules Christophe Rinieri, atteint d'un coup de feu à la
poitrine lors de l'attaque du petit Redon devant Sébastopol. Le 10 novembre
1855, son décès sera signalé au maire d'Antisanti depuis le camp
de Kadekai, par le sous-lieutenant Isidore Joseph Bonaventure
Balmillegère, officier payeur remplissant les fonctions d'officier de
l'état civil au 96e régiment d'infanterie de ligne. À la
réception de l'acte mortuaire, Augustin Tedeschi le transcrira fidèlement
sur le registre d'état civil du village, le 25 décembre.
Le lendemain, les Russes abandonnent Sébastopol après y
avoir mis le feu. Par cette victoire, Mac Mahon passe à la postérité. C’est
à ce moment qu’il prononce son fameux J’y suis ! J’y reste.
Quelques jours plus tard, la nouvelle de cette victoire
arrive en France, elle a un retentissement considérable (4) :
Sébastopol est enfin pris ; l'assaut nous a coûté
6 000 hommes, tant tués que blessés. Cinq généraux sont parmi les morts
On a
célébré partout en France notre victoire par des Te Deum... Les illuminations ont été
générales.
Cependant, les combats ne sont pas terminés et se poursuivent à
Constantinople (5) :
Nous avions pris Sébastopol ou du moins ses ruines, car il
n'y avait plus une seule maison debout, mais la guerre n'était pas finie pour cela. Le
lendemain nous partîmes à la poursuite de l'ennemi dans les plaines et les montagnes de
Baïdar et de Kordombell et cela pendant sept mois encore, jusqu'au 30 mars 1856. Mais là
c'était une guerre d'amusement ; on tirait encore quelques coups de fusil, mais sans
se faire grand mal.
Le premier janvier, je partis pour Constantinople ... Là était
maintenant l'ennemi le plus terrible de tous les ennemis, l'affreux choléra morbus, ayant
avec lui son frère typhus, deux tueurs d'hommes qui viennent toujours après les grandes
guerres pour donner le dernier coup aux vaincus et menacer les vainqueurs.
Le traité de Paris, signé le 30 mars 1856, mettra fin
à ce conflit.
Les maladies
Lorsque l'hiver arrive, le choléra, le typhus et le scorbut font plus
de morts que les combats. Les souffrances des soldats sont infinies (5) :
Le choléra, depuis le débarquement, n'avait point quitté
l'armée ; devenu moins violent cependant, il ne s'attaquait plus qu'aux hommes
affaiblis par de longues affections intestinales. L'hiver lui redonna des forces; mauvais
vêtements, chaussures usées, sol défoncé par les pluies incessantes, grâce à ces
diverses causes, les malades ne tardèrent pas à devenir plus nombreux. Un ouragan, pire
qu'une bataille, éclata le 14 novembre ; pas d'autre abri que les tentes de campagne
petites et usées ; pas d'autre protection qu'une demi couverture en lambeaux.
L'intendance attendait tous les jours de grandes tentes, des vêtements d'hiver, des
sabots, des chaussons de laine ; ils n'arrivèrent presque qu'à la fin de l'hiver.
Les hommes de tranchée ont de la peine à remuer un sol détrempé, la terre s'attache à
leurs pieds et à leurs outils ; ils dépensent le double de force ; les
fièvres, les diarrhées augmentent. Chaque nouveau régiment qui arrive sur le plateau de
Chersonèse paye son tribut d'acclimatement au choléra. Pour quinze à vingt blessés, il
y a des centaines de soldats atteints d'affections internes, diarrhées,
dyssenteries,
fièvres intermittentes, affections de poitrine. Bientôt des hommes se présentent à la
visite du médecin avec des douleurs vagues dans les membres, de la pâleur à la peau, du
gonflement aux gencives : c'est le scorbut. D'autres, les pieds plongés tout le jour
dans la neige fondue, voient leur sang perdre sa richesse et sa vitalité ; leur peau
devient blanche et se ride ; ils ne se sentent plus marcher, la chaleur amène à
leurs pieds des douleurs insupportables ; s'ils chaussent leurs souliers durcis par
l'humidité, la gangrène naît sur chaque point comprimé. Les maladies augmentent avec
les travaux et les fatigues de l'armée, et toute maladie prend un caractère grave :
l'ambulance où l'on coupe les membres, où le sang coule, où l'on crie, n'est rien à
côté de celle où, dans un milieu infect et sans air, les malades sont entassés, où la
suppuration des gangrenés se mêle à la fétidité des haleines. Les malades sont
évacués chaque jour sur Constantinople ; chaque jour, ils sont remplacés par
d'autres malades. Il y a des convois de 6 000 malades. Le 21 janvier, malgré les
évacuations fréquentes, l'encombrement des malades produit son effet accoutumé, le
typhus ; les infirmiers, les médecins sont frappés ; l'épidémie se répand
dans les camps, elle ne quittera plus l'armée qu'à son retour en France.
Ainsi parmi les 95 000 soldats qui laissent leur vie dans ce
conflit, 60% décèdent de
maladie. Ce sera le cas de trois soldats Antisantais. À la réception des
actes mortuaires, Augustin Tedeschi les transcrira fidèlement sur le
registre d'état civil du village.
Don Antoine Giacobetti est né
le 13 juin 1834 de Michel et de Magdeleine Guidi. Il est fusilier à la 2e compagnie du
3e bataillon du 85e régiment d'infanterie de ligne
commandé par le colonel Javel. Il a notamment participé à l'attaque sur le Redan à
Malakoff. Mais c'est le choléra qui sera la cause de son décès. Il
meurt le 17 février
1856 à 4 h du soir à l'hôpital
militaire de Constantinople par suite d'un diarrhée chronique.
Le 9 mars, l'extrait mortuaire est envoyé à Antisanti.
Laurent Giacobetti est né le 10 décembre 1830
de Don Marc et de Marie Guerrini (6). Il est fusilier à la 3e
compagnie du 2e bataillon du 42e régiment
d'infanterie de ligne commandé par le lieutenant-colonel de Mallet). Il
décède à l' hôpital temporaire de Constantinople le 15 juillet 1856 à
2 h du soir par suite d'un diarrhée chronique. L' extrait
mortuaire est envoyé par le directeur de l'hôpital, Sauvage, le 28
juillet. Le 11 août, Augustin Tedeschi le transcrit sur le registre d'Antisanti.
François Antoine Giacobetti est né le 28
février 1832 de Paul Dominique et de son épouse Françoise. Il est
soldat au 1er escadron du train des équipages militaires et à
ce titre est chargé de l'approvisionnement des soldats. Il conduit de
longues files de mulets chargés de biscuits, d'immenses convois
charroyant des fourrages ou des liquides (3). Bien qu'il ne participe
pas directement aux combats, cela ne l'empêche pas de prendre une part
active à la guerre. À Sébastopol, selon le rapport de Blanchot,
intendant général de l'armée, (3) :
Officiers de santé, fonctionnaires de
l'intendance, officiers d'administration, officiers et soldats du train
des équipages, infirmiers, tous ont fait leur devoir avec le
dévouement le plus louable et le plus complet.
François Antoine Giacobetti décède à l'hôpital militaire n°1 de Maslak, le
16 mars 1856 à 11 h du matin par suite du typhus. Le 15 décembre,
Augustin Tedeschi reçoit son acte de décès qui lui est adressé par l'officier
d'administration comptable principal de l'hôpital.
Où sont inhumés ces soldats ? On peut penser qu'ils
reposent dans le
cimetière français de Sébastopol (45 000 soldats français).
Mais, l'ampleur des
pertes de la guerre de Crimée ne permit pas d'identifier individuellement
les morts et on les déposa dans des tombes communes, regroupés par
unité.
Dominique Altibelli note que la même année au village, la Communauté
a enterré 42 Antisantais (7). Ce nombre élevé l'amène à penser qu'ils ont
probablement été victimes du choléra importé par les soldats de l'armée de
Crimée.
- Colonel Ch. DURBAN, "Souvenirs militaires d'un officier français", Plon
Ed.,
Paris, 1896.
- L'état
civil d'Antisanti est consultable sur le site des Archives du département
de la Haute-Corse.
- Jules LADIMIR, Histoire compléte de la guerre
d'Orient, Paris, 1856.
- Comte Horace de VIEL CASTEL, Mémoires sur le règne de Napoléon III, Paris,
1888.
- Capitaine BLANC, "Récit d'un Officier d'Afrique", A. Mame et Fils
Ed., Tours, 1892.
- Selon Altibelli, il s'agit bien d'un Giacobetti et c'est par erreur
qu'est porté sur le monument aux morts le nom de Giacobi.
- Dominique ALTIBELLI, Antisanti : Mémoires d'un village, Cahier n°4.
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