Élève au séminaire de la Société des missionnaires d'Afrique - les pères blancs - à Maison Carrée (aujourd'hui El-Harrach) dans la banlieue Est d'Alger, le 16 novembre 1886, il est du nombre des treize candidats sur quarante promus au grade de bachelier (2). En 1888, il prête serment (3). Aux trois serments - chasteté, pauvreté et obéissance - comme tous les pères blancs il ajoute celui d'œuvrer à l'évangélisation de l'Afrique, selon les constitutions et lois de leur société et prononce :
Nommé sous-diacre, puis quelques temps après diacre, il perfectionne encore son enseignement de père blanc. Outre la théologie, les langues, l’enseignement des gestes et pratiques du culte, les futurs missionnaires apprennent bien d’autres choses. Ils devront savoir enseigner, dispenser le catéchisme, donner les sacrements, mais aussi à construire des bâtiments et des maisons, à soigner les malades, à tenir un dispensaire, avoir des notions de culture de la terre, de gestion d’établissement et de budget, des notions de la langue locale. Dans leurs missions, ils devront savoir tout faire et manier aussi bien la truelle et le marteau, que le crayon, la seringue ou le goupillon. En 1889, il est à Tunis où il apprend l'arabe. Convoqué au conseil de révision, il est dispensé du service militaire pour une année. Incorporé le 1er novembre 1890 au 4e régiment de zouaves, il est réformé le 25 par la commission de réforme de Tunis car il est atteint de tuberculose pulmonaire. Cette maladie lui vaudra d'échapper à la première guerre mondiale car il sera à nouveau exempté pour la même raison par le conseil de révision de Batna le 10 décembre 1914 (4). Ce n'est qu'en 1917 que les soins reçus durant quelques mois au sanatorium de Maison Carrée auront raison de la tuberculose. Mais il gardera une santé fragile qui ne l'empêchera pas de déployer une activité extraordinaire. Antoine Giacobetti est ordonné prêtre en 1891. Après la mort du Cardinal Lavigerie en 1892, le père Giacobetti réussit à se faire donner une statuette de la vierge trouvée à Tébessa et conservée avec vénération par le Cardinal. Il lui donnera le titre de Notre-Dame des Esclaves. Il y attachera un grand prix et il la gardera précieusement comme souvenir du fondateur des pères blancs. Le 19 juillet 1904, il écrivait à un confrère (5) :
Nommé professeur à l’Institut Lavigerie de Carthage où se trouve le couvent des sœurs missionnaires de Notre-Dame d'Afrique - les sœurs blanches -, il s'intéresse à l'archéologie, intérêt qu'il gardera toute sa vie et qui le poussera à apporter son aide aux archéologues contemporains. Il passe par la suite à Djerba où la communauté des soeurs blanches s'était installée depuis peu et où un poste s'offrait à lui. Curé de Djerba, son implication dans l'entretien des tombes des soldats français décédés au cours des expéditions de Tunisie et inhumés dans le cimetière lui vaut les félicitations de tous comme le signale le journal La dépêche tunisienne dans son édition du 24 janvier 1897. Désigné pour El Abiodh Sidi Cheikh, dans le sud oranais, c'est un homme heureux, arabisant, ethnographe, grand amateur de proverbes et de généalogie, bon connaisseur du Maghreb, qui écrit :
Dans la petite chapelle, il accueille les arabes qui viennent visiter l'hôpital et leur fait admirer les statues de Marie et de Jésus ; à l'hôpital tenu par les soeurs blanches, il apporte son réconfort aux malades. Il reste peu de temps à El Abiodh Sidi Cheikh. Le 5 mai 1901, il embarque à Marseille pour le Soudan en compagnie du père Antoine Rigouste (6). Il y demeure quatorze mois mais des raisons médicales le contraignent à revenir en Algérie. Il se fixe à Ouargla, à 850 km au sud d'Alger, pour un an et demi. Lors de brefs séjours à Saint-Charles, Benni-Yenni, Kerrata et Sainte-Monique, il assiste, grâce à sa maîtrise des langues latines - polyglotte, il parle aussi l’italien et l’espagnol - les populations européennes. En septembre 1912, il arrive dans les Aurès à Medina où la mission compte deux pères dont le supérieur et trois ou quatre frères qui dirigent une ferme expérimentale. Il a alors 43 ans et une déjà longue expérience de mission en pays musulman. Tenant le Diaire des pères, de sa fine écriture, il note jour après jour le quotidien des missionnaires. A la date du ler août 1914, il décrit l’arrivée d'une automobile porteuse de l’annonce de la mobilisation générale. Quelques temps plus tard, il écrit : Nous ne craignons pas de troubles dans les Aurès. Seuls les vols sont à craindre. Et de fait dans un premier temps les vols vont se multiplier rapidement dans les fermes voisines. Les choses changent à partir de l'automne 1916 : Les Beni Bou Slimane refusent la conscription, deviennent des "rebelles", s'arment et se replient chez une tribu forestière. A la suite de plusieurs meurtres commis dans la région, une force d'intervention d'une centaine d'hommes s'installe sur le domaine des pères. Sous la pression de leur hiérarchie, les pères décideront de quitter la ferme. Lors de ce séjour, Antoine Giacobetti a composé un catéchisme en chaouia - langue berbère parlée par les tribus chaouis des Aurès - et traduit les évangiles du dimanche. En 1915, il confessera avec amertume l’échec de l’œuvre des enfants et des ouvriers : Tous sauf un nous ont quitté. Tenu de soigner sa tuberculose, il reste quelques mois en 1917 dans le sanatorium de Maison Carrée. Sa hiérarchie l'envoie ensuite à Saint-Cyprien des Attafs dans le département d'Alger où il va demeurer 5 ans comme curé de la paroisse. Le 11 janvier 1922, il quitte Saint-Cyprien des Attafs pour Géryville, aujourd'hui El Bayadh. L'Écho d'Alger, dans son édition du 22 janvier, fait son éloge et témoigne des regrets de la population :
A Géryville, le père donne des cours de français et d'arabe - il a composé des cahiers de thèmes et versions pour apprendre cette langue -, ouvre un foyer de soldats pour les militaires français, n’hésite pas à enseigner le catéchisme à quelques jeunes personnes musulmanes qui semblent bien disposées, et crée un ouvroir pour venir en aide aux indigènes nécessiteux où, sous la direction des soeurs blanches, ils sont initiés aux tissages du Djebel Amour conformément à la technique traditionnelle. Invité au mois de juillet 1926 à faire à Louvain une conférence sur les confréries religieuses musulmanes, le père Antoine Giacobetti qui a toujours recherché le contact et même la compagnie des religieux musulmans, retrouve sur le bateau qui le transporte à Marseille, le Cheikh al-Alawi invité à assister à l'inauguration de la Mosquée de Paris. Alors que le Cheikh souhaite l'entente entre français catholiques et musulmans, en amenant les premiers à renoncer au mystère de la trinité et à celui de l'incarnation, une amicale controverse s'engage sur le pont du bateau entre les deux hommes. Antoine Giacobetti rapporte lui même la scène :
Il semble que pour avoir été convaincu et avoir adhéré au mystère chrétien de la Trinité, le Cheikh Ben-Aliwa fut, par la suite, inculpé de la plus grave hérésie de l’Islam. On retrouve le père Antoine Giacobetti comme Supérieur de la Mission de Ghardaïa en 1927. Nommé à Djelfa en 1929, il est à Maison Carrée en 1931, pour trois ans pendant lesquels il continue ses recherches sur les questions islamiques. En 1934, il regagne Saint-Cyprien pour le ministère de la paroisse. C'est un père déjà très vieux qui impressionne par son immense barbe blanche. Le 20 mai 1939, il a le privilège d'inaugurer l'église de Sainte-Monique après sa restauration (7) :
Il décède en 1956. C'est un arabisant, ethnographe, grand amateur de proverbes et de généalogie, bon connaisseur du Maghreb qui disparaît. Mais aussi, un homme redoutant la laïcisation des Berbères, et qui, après avoir expliqué l'importance de la politique berbère pour la France et récusé l'action des écoles et missions laïques, recommandait seulement d'agir par la bonté, les relations, les bons services... Il faut nous faire aimer des Berbères. (8) C'est également l'auteur d'une trentaine de titres et de manuscrits non publiés, sur des sujets très divers, en général d’islamologie mais aussi sur les arts indigènes et les cultures locales ainsi que le traducteur, vers des dialectes locaux, de catéchismes, évangiles ... On peut notamment signaler les ouvrages suivants :
Plus tard, il traduira, avec un commentaire, le poème fondateur de la Rahmaniyya recueilli par Bachtarzi, une confrérie largement dominante dans l’Aurès dont il est sans doute un des rares commentateurs à avoir une connaissance humaine directe autant que textuelle : R. P. Antoine Giacobetti. Le livre des Dons de Dieu. Glose de la Rahmaniya. Alger, 1946. Ainsi que A. Giacobetti, La confrérie des Rahmaniya, règles et commentaires, texte, trad. et notes, Alger, Maison Carrée, 1946. On sait aussi qu'il dirigeait le bulletin de l'Union catholique indigène, association de Saint-Cyprien dont les membres étaient en grande majorité Kabyles et qui militait en faveur de la naturalisation, de l'assimilation politique, morale et culturelle. Dans certaines de ses lettres et de ces écrits, le père Antoine Giacobetti, fervent défenseur du catholicisme en terre d'Islam, repoussait toute tentative de rapprochement entre le monde de l'Islam et la Chrétienté et excluait tout salut sans une adhésion institutionnelle au christianisme. Redoutant, en missionnaire qu’il était, les répercussions de certains écrits de ses contradicteurs, il posait la question de savoir à quoi servent les missionnaires puisque l’Islam suffit à sauver, à donner la foi et l’esprit de foi, à élever l’âme jusqu’à la plus haute contemplation. Il récusait par avance l’autorité de ses contradicteurs qui n’avaient pas vécu comme lui en milieu islamique. Et fort de sa longue expérience qui lui permettait de parler en connaissance de cause sur un sujet que si peu connaissent pratiquement et autrement que par des livres, il n'hésitait pas à s'opposer à son évêque qui manifestait une attitude de plus grande ouverture à l’égard des musulmans allant même jusqu'à adresser à Rome des arguments qualifiés d'assez violents.
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