Le bandit Gallochio
De son vrai nom Guiseppo Antonmarchi, il était appelé
Gallochio (petit coq),
à cause de sa voix enrouée qui tend vers les aigus, mais aussi le bandit vierge ou le
seigneur des maquis.
Né vers 1801 à Ampriani, il est l'aîné d'une famille de six enfants.
Au printemps de l'année 1820, Gallochio quitte le séminaire d'Ajaccio
à la demande de son père afin d'assurer la continuité de la famille. Il doit épouser
sa promise, Maria Grazia Vincensini de Casevecchie, dite Luisa,
âgée de 15 ans, fille d'Ange-Joseph et de Rosella Giacobetti.
À l'annonce du mariage, d'autres partis se présentent. L'un des
prétendants est César Negroni, né à Ampriani comme Gallochio, mais antisantais par sa
mère Marie-Antoinette Angelini. Il représente un parti plus
intéressant que Gallochio et c'est lui qui est choisi comme nouveau
prétendant de Marie
Louise.
Pour contraindre les époux Vincensini à son mariage,
Gallochio enlève Marie-Louise. Mais le père de la jeune fille dépose
aussitôt une plainte à Corte. Aussi le gendarmes se rendent à Ampriani
pour se saisir de Gallochio, qui pour sa part à pris le maquis.
C'en est trop pour Gallochio
qui tue le père
de Marie Louise, le 23 septembre 1820, puis César Negroni, le 1er février 1821 à
Antisanti, morto da un colpo di fusile.
Condamné à mort pour ces meurtres, le 17 mars 1821, Gallochio
va commettre d'autres méfaits durant les années 1821-1824 à
Antisanti et dans sa région.
Le 10 septembre 1821, vers 4 h de l'après midi à
Piedicorte au lieu dit Casamatra, Gallochio, Christophe Arrighi dit Muchiolo
et d'autres assassinent Jacques Martin, brigadier de gendarmerie
originaire de Vernoux (Ardèche), et les gendarmes Jacques Hypolite
Mathieu et Venturo Nicolaï, tués da colpi di armi da fuoco stati gli
sparati da assassini che si trovarono in agguato in prossima vigilanza di
dette strada écrit le maire Gabrielli.
Suivront notamment le pillage de la gendarmerie d'Antisanti,
le 9 septembre 1822, puis l'attaque du village, le 27 décembre, par
Sarocchi, Gallochio et Pascal Gambini. Durant l'attaque, le maréchal des
logis Michele Torra, en poste à Piedicorte, venu passer la soirée à
Antisanti, est tué dans la maison du maire Joseph-Antoine Angelini.
Celui-ci appelle courageusement les habitants aux armes, et se met
lui-même à la poursuite des bandits. En effectuant leur retraite, les
bandits tuent le gendarme Paulo Francesco Fiorella et son bébé, Simon
Pietro, âgé d'une quarantaine de jours, et blessent le brigadier
Maestracci et le gendarme Délaissement, ainsi que le maire.
C'est en partie à la suite de ces méfaits, qui dévoilent un peu plus
l'incapacité de la gendarmerie et des autorités à faire respecter la loi dans l'île,
que le gouvernement royal va activer la création du Corps des Voltigeurs, sorte de
gendarmes auxiliaires formé d'hommes recrutés sur place, pour leur connaissance du
terrain et des hommes, pour leur endurance ou pour d'autres motivations plus personnelles.
Le 11 février 1824, à 5 heures du soir, dans un champ
non loin de Funtana all'oliva, Gallochio accompagné par le bandit Pascal
Gambini assassine Joseph Filippi âgé de 40 ans, puis se rendant au
lieu-dit Capo alla vanga, deux heures plus tard, assassine son frère Don
Victor Filippi, âgé de 45 ans.
Le 29 mai, François-Xavier Giacobetti, ancien gendarme
âgé de 62 ans, adjoint au maire d'Antisanti, et oncle par alliance de
Marie-Louise Vincensini, est trouvé mort, tué da arma da fuoco,
à Campo Favajo où il défrichait un carré de terrain inculte. Gallochio
lui reprochait d'être à l'origine de la plainte déposée après l'enlèvement
de Marie-Louise Vincensini ; mais aussi d'être le frère de Rosella et le
père de Pacinta, la veuve de Joseph Filippi.
Dès le premier trimestre de 1824, les voltigeurs, plus mobiles et plus
aguerris, remplacent les gendarmes d'Antisanti aux uniformes trop voyants.
La vie pour Gallochio et les siens devenait chaque jour de plus en plus
difficile. Cependant, se sentant impuissant à endiguer la violence des
bandits toujours plus présents, le préfet de la Corse décide de traiter
avec eux en leur offrant l'impunité et des passeports pour quitter le pays.
Profitant de cette opportunité, le 26 juin 1824,
Gallochio quitte la Corse pour la Sardaigne puis s'engage dans l'armée
de libération de la Grèce. Il y reste 8 ans et se bat avec vaillance dans plusieurs
combats contre les Turcs, notamment à la journée de Peta. Il devient officier,
est fait capitaine au siège de Missolonghi, et songera
même à se faire naturaliser Grec.
Gallochio rentre en Corse au début de l'année 1834 après avoir appris
l'assassinat de son jeune frère Charles Philippe, abattu à la sortie de l'office du
Jeudi Saint sur le seuil de la maison familiale. La rumeur désigne Jules Negroni dit
Peverone comme son meurtrier.
Gallochio entame alors une deuxième carrière pleine de méfaits et
entreprend l'extermination de la famille Negroni. Sur le chemin d'Antisanti,
le 5 mars 1834, il tue le cadet des frères Negroni, Pierre François dit
Pietruccio, âgé de 24 ans.
Puis il convainc un autre bandit, Antoine Valeri
d'assassiner Paul Antoine Negroni. Le 20 juin 1835, celui ci remplit son
contrat nella commune di Rebbia, cantone di Sormano, da arma da
fuoco violentemente.
Nul n'ose s'opposer à lui car son nom
fait trembler les plus braves : "Au seul nom de Gallochio
Les gens tremblaient de peur."
Non sans raison car les journalistes de l'époque lui imputent 45
meurtres.
Le 19 Novembre 1835, au lieu-dit Cioco de la commune d'Altiani,
alors qu'il est venu pour assassiner Simon-Pierre Santini, parent des
Negroni, celui-ci avec l'aide d'autres altianais réussi à détourner son
attention et à lui asséner plusieurs coups de hache qui causent sa mort.
En quelques années se forgea sa légende. On composa en son honneur de
magnifiques lamenti, car il était considéré comme le parfait bandit.
Une histoire semblable se déroulera quelques années plus tard à
Campile. Un jeune prêtre, Danesi dit Cagnetto, quitta l'état ecclésiastique à la
promesse du mariage avec une jeune fille de Campile. Cependant, la mère de la jeune fille
avait promis la main de sa fille à un autre prétendant. Lorsqu'il l'apprit, Cagnetto
s'écriât : "Souvenez vous du bandit Gallochio". Et le 25 mai 1840, il
mit ses menaces à exécution et tua trois des parents des futurs époux.
Le bandit Gallochio dans la littérature
Cette histoire est le thème d'un poème de
l'abbé GAMBOTTI Ange (1) :
I BANDITI...
Banditi pe' i macchioni
Quantu ci si n'ascundia,
Guardendusi da a spia :
L'Antonmarchi e i Negroni.
Gallochiu e Peverone,
Sopranomi cunisciuti,
D'Ampriani so esciuti
Per pratica u talione.
Carlu-Filippu è uccisu
Un ghiovi santu di sera ;
E di listessa manera
Pepinu, un ghiornu imprecisu.
|
Da Gallochiu a Peverone
Chi nimu ci s'inframetti,
Ne di fatti ne di detti,
Da Cursigliese a Tagnone.
Si tutt'ognunu temia
Di Gallochiu u terrore,
Si sa ch'ell'è ghiunt' a more
A l'aghia a Santa Lucia.
|
Selon Xavier Versini (2), Gallochio allait vêtu élégamment, armé
d'un poignard turc et d'un pistolet à double canon. Car comme le précise Edmond Demolins (3), les bandits Corses ...
sont des bandits civilisés : ceci est tout à fait important
à noter. Ils ne sont montagnards et bandits que par circonstance. Ils sortent des villes
et des villages d'en bas, où ils ont été policés par la vie urbaine et les habitudes
de communauté. Ils exercent donc le brigandage non sans une certaine élégance de
manières, non sans certaines formes courtoises. Ils sont en révolte contre certains
ennemis personnels, mais non contre l'ordre social en général, non contre la
civilisation.
Gallochio est dépeint par Rosseeuw Saint-Hilaire comme un être féroce
et sans pitié certes, mais aussi comme une sorte de Mandrin insouciant, courageux et tout
puissant, libéré des règles de la société, un être en marge et rebelle. Voici la
description qu'il en fait (4) :
Malgré le fusil qu'il portait, compagnon inséparable du Corse
dans toutes ses excursions, son extérieur n'avait rien qui fût fait pour inspirer la
crainte ; c'était un homme d'une trentaine d'années, à la taille exiguë, à la jambe
sèche et grêle, à la démarche agile comme le cheval que je montais. Son costume
moitié montagnard, moitié citadin, se composait d'une veste courte de poil de chèvre,
vêtement ordinaire du paysan corse ; mais un collet de velours noir, une chemise de
percale très fine et très blanche au lieu de la chemise de grosse toile que l'on ne
change pas même tous les dimanches, enfin un pantalon de drap fin et des bottines
annonçaient certaines prétentions à l'élégance. Un menton fraîchement rasé
écartait toute idée de vendetta pour quiconque connaît le vieil usage corse. Un superbe
fusil de chasse à deux coups, richement monté en argent, lui servait de bâton de voyage
; un long pistolet d'arçon pendait sur sa cuisse gauche, passé dans le ceinturon de sa
carghera, giberne corse qui se porte par-devant, à l'inverse de la nôtre ; c'était
l'uniforme national à quelques variantes près. Une chose seulement m'inquiéta : le
stylet, arme que les lois françaises défendent aux Corses de porter d'une manière
ostensible, était passé dans sa ceinture ; cette façon de braver ouvertement la loi et
de se mettre en guerre avec le code pénal était de mauvaise augure. Cependant en
regardant attentivement le personnage, ses traits remarquablement fins et délicats, ses
cheveux blonds, son nez aquilin, son menton arrondi, sa main blanche comme celle d'une
femme, composaient un ensemble qui après tout n'était rien moins qu'effrayant ;
seulement de petits yeux gris, singulièrement mobiles, donnaient à son visage une
expression inquiète et qui allait parfois jusqu'à la menace ; mais ce n'est pas du
premier coup d'oeil que j'eus le temps de m'en apercevoir.
Une anecdote citée par le Révérend père Louis-Albert Gaffre (5) montre bien le caractère pieux de Gallochio :
Si quelqu'un parmi vous visite la Corse, il entendra peut-être
parler aux veillées du valeureux Gallochio, le doux et pieux jeune homme qu'un dépit
amoureux fit homicide ... Les bergers composent encore des refrains sauvages sur ses
aventures ; les jeunes filles redisent les "lamenti" que sa mort inspira, et
sentent parfois germer dans leurs yeux noirs, comme des perles d'argent qu'elles
égrénent à la mémoire du beau et chevaleresque bandit.
Un jour que Gallochio errait aux environs de Cervione, accablé de fatigue et de faim,
il se décida à entrer dans une maison écartée pour demander à manger ;
Le maître du logis le reconnut de suite.
- "Per Baccho ! Mon fils ! c'est le ciel qui t'envoie ! j'ai pris ce matin deux
douzaines de merles dans mes filets ; mon vin est excellent. Nous allons nous
régaler."
- "Quel malheur, répond Gallochio, qu'aujourd'hui ne soit pas hier ! J'aime le
bon vin et j'adore les merles. Mais c'est aujourd'hui vendredi ; je jeûne et fais
maigre."
Il se contenta d'un morceau de pain et de fromage.
Selon les auteurs, Gallochio aurait en effet gardé de son éducation au
séminaire des principes stricts. Sorbier rapporte que Gallochio faillit tuer de colère
un homme qui lui proposait de faire gras un vendredi (6). Il se maîtrisa parce que
c'était l'octave de Saint Pancrace que les bandits reconnaissaient comme saint patron.
Certains de ces bandits étaient généralement très riches, car ils
taxaient les propriétaires et les entrepreneurs, ils exploitaient les forêts à leur
profit, ils possédaient des terres et des troupeaux. C'est ainsi qu'on a attribué aux
bandits Joseph Bartoli (de Palneca) et Nonce Romanetti (Calcatoggio) un revenu annuel de
100 000 f de l'époque.
Ce qui fait dire à un des lieutenants de Gallochio (2) :
Je suis à merveille. Il n'y a rien de plus beau que la vie de
bandit. Stò come un generale.
- Abbé Gambotti Ange, "Tempi et tempi", imprimerie MATTEI, Ile Rousse, 1981.
- Xavier Versini, "La vie quotidienne en Corse au temps de Mérimée", Hachette
Ed., Paris, 1980.
- Edmond Demolins, "Les français d'aujourd'hui", Firmin-Didot Ed., Paris, 1898.
- Rosseeuw Saint-Hilaire, "Le déjeuner du bandit" dans "Corse noire",
collection Librio, Flammarion, 2001
- Révérend père Louis-Albert Gaffre, "En Corse au pays de la vendetta : lecture
donnée au Cercle Ville-Marie de Montréal", Montréal : Le Circle Ville-Marie, 1892.
- cité par Gaston d'Angelis, Don Giorgi et Georges Grelou, Guide de la Corse
mystérieuse, Tchou Ed., Paris, 1995
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